La crise des déchets à Paris et l’économie circulaire

Emily (oui, celle de la série de Netflix « Emily à Paris ») n’en reviendrait pas. À se promener dans Paris depuis une semaine, il est impossible de ne pas remarquer le spectacle et les odeurs des amas d’ordures ménagères entassés dans les rues. La grève des éboueurs contre la réforme des retraites du gouvernement français nous amène tous à réfléchir à la quantité de déchets que nous produisons et à leur destination finale (du moins en théorie).

Un vrai gâchis

Le volume de déchets1Déchets produits par les ménages et les activités économiques collectés par le service public de gestion des déchets. à Paris a doublé en 75 ans, passant de 239 kg par habitant en 1940 à 485 kg en 2015. La chute marquée de la consommation des ménages et de la quantité de déchets produits pendant la pandémie de COVID-19 a aidé la ville à dépasser son objectif de réduction des déchets ménagers de 10 % par rapport à 2010, avec un total de 403 kg par habitant en 2020 (soit une baisse de 16 %), mais un retour en force des déchets n’est pas à écarter.

Paris n’est pas une exception, bien au contraire. À l’échelle mondiale, les villes sont à l’origine de 50 % des déchets. En 2019, les pays de l’OCDE ont produit en moyenne 535 kg de déchets municipaux par habitant et par an (sources tertiaires et résidentielles confondues), soit le poids d’un ours polaire. C’est 40 kg de plus qu’en 1990, mais 8 kg de moins qu’en 2000. Et même si les déchets municipaux ne représentent que 10 % du total des déchets produits, leur gestion et leur traitement absorbent souvent plus d’un tiers des fonds publics consacrés à la lutte contre la pollution. Sous l’effet de la croissance démographique, la production annuelle de déchets solides devrait augmenter de 70 % entre 2020 et 2050, générant plus de 2 milliards de tonnes d’équivalent CO2.

Grève ou pas grève, cette situation n’est tout simplement pas tenable. Les amas d’ordures qui s’empilent dans les rues de Paris sont, dans la plupart des cas, des ressources gaspillées : autrement dit, des ressources qui auraient pu être utilisées plus longtemps, peut-être à d’autres fins ou par quelqu’un d’autre. Parfois, ces déchets auraient pu être évités : nous prélevons, fabriquons et gaspillons des ressources selon un système linéaire au lieu de repenser, réduire, réemployer, réparer, rénover, recycler, selon les principes d’une économie circulaire qui minimise les déchets et préserve autant que possible les matériaux utilisés. Théoriquement, Paris pourrait éviter la mise en décharge et l’incinération de 75 % de ses déchets par des actions de réduction, de réemploi et de valorisation. On estime que chaque année, 80 000 tonnes de déchets potentiellement réutilisables y sont produits.

La guerre au gaspillage

Côté bonnes nouvelles, beaucoup de villes sont déjà passées à l’action : à Amsterdam (Pays-Bas) et à Tallinn (Estonie), il existe des centres locaux de réparation et de restauration, ainsi que des dispositifs de partage de produits entre habitants. Aux États-Unis, le programme Zéro déchet de San Francisco facilite la réutilisation des surplus de la ville au sein du secteur public et leur don aux ONG et aux écoles. Londres (Royaume-Uni) aide les supermarchés et les entreprises locales à redistribuer les excédents alimentaires. La ville de Groningue (Pays-Bas) a lancé une « bataille alimentaire » de sensibilisation à la réduction du gaspillage alimentaire.

Paris a été parmi les villes pionnières à se doter d’un projet en matière d’économie circulaire. En 2017, la ville a adopté sa première feuille de route, axée autour de cinq grands thèmes : l’aménagement et la construction ; la réduction des déchets, le réemploi ou la réparation ; le soutien aux acteurs du territoire ; la commande publique ; et la consommation responsable. Elle a adopté sa deuxième feuille de route en novembre 2018 pour y inclure de nouveaux thèmes : l’administration exemplaire, la culture, les actions, la consommation durable et l’éducation. Dans le cadre de sa stratégie, Paris a ouvert 15 centres de recyclage (ressourceries et recycleries), grâce auxquels elle évite la mise en décharge et l’incinération de près de 3 000 tonnes de déchets par an. La ville a également aménagé des espaces publics construits à partir de matériaux recyclés, mis en place un quartier d’affaires circulaire, promu le démontage au lieu de la démolition et pris bien d’autres mesures encore.

Une bonne crise à ne pas gâcher

Pour faire avancer leur programme d’économie circulaire, les villes doivent prêcher par l’exemple et commencer par réduire les déchets du secteur public et servir de modèle aux entreprises et aux habitants. Elles doivent établir le dialogue avec les entreprises, l’économie sociale et les habitants, à la fois pour comprendre leur comportement et pour découvrir des technologies et solutions nouvelles. Enfin, elles doivent se fixer des objectifs ambitieux pour susciter des changements et suivre les progrès accomplis vers leur réalisation.

Avec la crise actuelle, les déchets sont devenus subitement très visibles. Mais ils ne se résument pas à un simple dérangement : ils sont la cause d’une crise sanitaire et environnementale beaucoup plus large. Il est impératif d’envisager les déchets sous un angle différent, comme des ressources qui ont une valeur. Le 30 mars est la Journée internationale du zéro déchet. Ne gâchons pas l’occasion de changer les choses !


Pour en savoir plus sur l’économie circulaire, lire le rapport de l’OCDE.

Voir la version originale anglaise de l’article.

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Oriana Romano is the Head of Unit, Water Governance and Circular Economy, Urban Policies, and Sustainable Development Division of the OECD Centre for Entrepreneurship, SMEs, Regions and Cities. In 2018, she initiated a Programme on the Circular Economy in Cities and Regions, which supports governments in developing and implementing circular economy strategies. She heads the OECD Water Governance programme, which she joined in 2013. Before the OECD, she was university lecturer in Environmental Economics at the “Centre for International Business and Sustainability”(CIBS), London Metropolitan University (London, United Kingdom) and the Department of Social Science of the University “L’Orientale”(Naples, Italy). She currently teaches “The Transition to the Carbon Neutral and Circular Economy in Cities ”at Sciences Po, Paris, France. She holds a Ph.D in “Institution, Economics and Law of Public Services”.

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