Depuis 50 ans, les politiques urbaines visent à favoriser la compétitivité et l’attractivité des villes et des métropoles afin de soutenir leur croissance économique. Dans cette optique, l’innovation technologique sert de support à différents concepts de villes « innovantes », « créatives » ou « smart cities ». Ces modèles favorisent la mutation du fonctionnement métropolitain, comme le démontre par exemple le phénomène d’ubérisation des villes sous la pression de multinationales telles qu’Airbnb, Uber, Deliveroo ou Lime.
De nombreux experts, et de nombreux classements internationaux à l’instar du Smart City Juniper Ranking, soulignent les résultats positifs de ces politiques urbaines : créations d’entreprises et d’emplois, amélioration de l’image des villes ou régénération urbaine de quartiers autrefois marqués par les crises industrielles. Il reste, malgré tout, que toutes les populations urbaines ne sont pas concernées par ces impacts positifs et qu’un certain nombre d’individus restent en marge du progrès et de la modernité. Pour ces laissés pour compte urbains, la ville compétitive apparaît alors comme une ville en crise, marquée par les discriminations, les inégalités spatiales et sociales, ou encore le délabrement et l’insalubrité.
Il existe pourtant un phénomène urbain illustrant d’autres manières de produire et de construire la ville, guidées par des impératifs collaboratifs, inclusifs, écologiques et non-marchands : l’altermétropolisation.
Elle se définit comme un processus d’urbanisation et d’aménagement fondé sur l’innovation sociale, là où la ville compétitive trouve plutôt les ressorts de sa croissance dans l’innovation technologique. Cela ne signifie pas que l’altermétropolisation s’oppose à la métropolisation. Elle en est au contraire complémentaire, s’imposant comme une forme d’avant-garde territoriale, où les expérimentations et les initiatives locales tentent de trouver des solutions concrètes aux problèmes que les pouvoirs publics et les acteurs privés n’arrivent pas à résorber seuls.
L’altermétropolisation se matérialise à travers le monde par des initiatives citoyennes autogérées, la prise en compte de l’urgence climatique, le développement de l’économie circulaire et des économies sociales et solidaires. Elle se traduit également par l’instauration d’un urbanisme coopératif, s’exprimant au travers d’une démocratie directe territoriale, d’assemblées participatives ou de crowd-sourcing. Une des particularités de l’altermétropolisation est de n’émaner, à l’origine, ni d’acteurs privés, ni d’acteurs publics, mais de mouvements ou de collectifs citoyens, voire d’individus motivés à faire évoluer l’organisation urbaine grâce à des initiatives concrètes et appliquées.
Le projet Fairbnb, par exemple, se veut une réponse aux impacts négatifs du succès d’Airbnb à l’instar de la gentrification ou la pression du tourisme de masse observés dans les centres anciens touristiques. Fairbnb se veut une plateforme digitale de réservation de logements touristiques, comme Airbnb, à la différence près que tous les bénéfices générés par les réservations sont réinvestis dans des projets sociaux et solidaires consistant à limiter les effets négatifs d’Airbnb.
Dans un autre domaine, plus technologique, les politiques de sharing et de responsive cities, observés notamment en Europe, ont vocation à remettre les citoyens au cœur du projet de smart city, en leur permettant de contrôler les données qu’ils produisent chaque jour, plutôt que de les laisser traiter par des entreprises qui en font une utilisation mercantile. Ces nouvelles manières d’envisager les politiques urbaines intelligentes sont aussi un moyen de favoriser la repolitisation des citoyens-citadins, en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication comme instrument de dynamisation de la démocratie locale.
A l’échelle micro-locale, l’explosion du nombre de FabLabs dans le monde illustre la nécessité de rendre accessible à chaque citoyen le processus de production d’innovation technologique, quels que soient son niveau de vie, ses opinions politiques, son genre, ou ses origines, grâce à la constitution d’ateliers technologiques collaboratifs.
Ailleurs, des villes comme Rome et Naples, ou le quartier autoproclamé de « freetown » de Christiania à Copenhague, font l’expérience de l’affirmation des communs urbains, à savoir la protection juridique de lieux culturels et d’espaces publics. Barcelone a même érigé ces initiatives en projet politique qui dirige la ville depuis deux mandatures avec le programme « Barcelona en comù ».
A Marseille, le laboratoire TELEMMe et Aix-Marseille Université ont développé un système d’information géographique permettant d’identifier, de géolocaliser et de mesurer l’incroyable fertilité de ces initiatives altermétropolitaines, comme l’illustre la carte ci-dessous.
Les différents types d’expérimentations et de lieux altermétropolitains à Marseille

A l’heure où les crises sanitaires, climatiques et identitaires remettent en question des modèles de développement qui paraissaient inamovibles, l’altermétropolisation constitue la possibilité d’une autre voie en termes de planification urbaine et d’aménagement du territoire. La ville n’apparaît plus alors comme le seul problème de nos sociétés modernes, mais également bien comme la solution. Une solution « bottom up », portée par des citoyens et des collectifs illustrant de manière originale une repolitisation des populations urbaines et métropolitaines au moment même où les démocraties sont en crise. Avec l’altermétropolisation, les crises urbaines actuelles ne sont pas inéluctables, et une autre manière de fabriquer la ville et d’inclure toutes les populations aux progrès urbains est possible.
Version anglaise disponible ici.
Lire plus sur les travaux de l’OCDE sur les villes.
Alexandre Grondeau est docteur en géographie, aménagement et urbanisme, maître de conférences, habilité à diriger les recherches, au laboratoire TELEMMe d’Aix-Marseille Université.
Il est l’organisateur des colloques "Une autre manière de fabriquer la ville", le fondateur de l’Observatoire du développement local PACA et le coauteur de l’ouvrage Géographie Urbaine, réédité chez Hachette Supérieur en 2020.
Il est l'auteur de nombreux articles universitaires traitant des villes dans la mondialisation, des milieux et des territoires alternatifs. Il travaille en particulier à la conceptualisation et à la définition de l’altermétropolisation en mobilisant les notions d’innovation sociale, de biens communs, de responsive city, de nouveau droit à la ville, d’économie sociale et solidaire, d’hétérotopie, d’économie circulaire, de street art, de chrono urbanisme et de slow urbanism...
Alexandre Grondeau vient de publier "Altermétropolisation : une autre vi(ll)e est possible" consultable librement ici : https://altermetropolisation.com
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