En mars 2022, le nombre de postes vacants au Canada a dépassé le million pour la première fois. Cette situation a suscité des préoccupations généralisées au sujet des pénuries de main-d’œuvre, et le Canada n’est pas le seul dans ce cas. Alors que le chômage atteint des niveaux records, les signalements de pénuries sont devenus monnaie courante dans les pays de l’OCDE.
Contexte de la COVID-19 au Canada
Alors que l’urgence relative à la COVID-19 s’estompe, le Canada et de nombreux autres pays de l’OCDE ont connu une reprise remarquable du marché du travail. Le Canada affiche maintenant le taux d’emploi le plus élevé jamais enregistré chez les personnes en âge de travailler (15 à 64 ans), soit 75 %. Le taux de chômage est presque à son plus bas niveau pour les travailleurs et travailleuses du principal groupe d’âge (25 à 54 ans) à 4,3 %, pour les travailleurs et travailleuses d’âge mûr (55 à 64 ans) à 5,0 % et pour les jeunes (15 à 24 ans), à 10,1 %.
Du côté de la demande, les postes vacants ont augmenté encore plus rapidement, soit environ 80 % de plus qu’avant la pandémie. On compte environ 1,1 personne en chômage pour chaque poste vacant au Canada, ce qui est de loin le marché du travail le plus serré des dernières années.
Ces chiffres pancanadiens masquent d’importantes variations entre les provinces et au sein de celles-ci. Au Québec et en Colombie-Britannique, il y a moins de personnes en chômage que de postes vacants — un ratio inférieur à 0,9. Dans ces provinces, la demande de main-d’œuvre dans les secteurs de la construction, de la restauration et de l’hébergement est le principal moteur de l’augmentation des postes vacants. Cela reflète à la fois le besoin d’un plus grand nombre de logements et le retour à des activités sociales et à des déplacements normaux.
À l’autre extrême, le Nouveau-Brunswick (2,0), l’Île-du-Prince-Édouard (2,5) et Terre-Neuve-et-Labrador (3,7) comptent chacun plus de deux personnes en chômage par poste vacant. Ces chiffres reflètent en grande partie les taux de chômage structurellement plus élevés dans le Canada atlantique. Malgré ces niveaux plus élevés, ces mesures sont 50 % et 75 % plus serrés qu’avant la pandémie.
Environ une personne en chômage par poste vacant dans la plupart des provinces canadiennes

Pourquoi les pénuries de main-d’œuvre sont-elles « mauvaises » et quand peuvent-elles être « bonnes »?
Une « pénurie » semble mauvaise. Elle l’est! Il nous manque quelque chose dont nous avons besoin; il est clair que nous devrions avoir davantage de main-d’œuvre. Si nous en manquons, nous pourrions être confrontés à une « crise ». Pourtant, ces pénuries entraînent à la fois des défis et des possibilités pour les travailleurs, les entreprises et les décideurs. Cette perspective équilibrée est souvent oubliée dans les médias au sujet des pénuries de main-d’œuvre, et c’est pourquoi je préfère l’expression (beaucoup moins accrocheuse) de « resserrement du marché du travail ».
Commençons par les mauvaises nouvelles. Lorsque le marché du travail est resserré :
- le recrutement prend plus de temps, ce qui détourne des ressources d’autres activités;
- la production est ralentie et/ou réduite;
- il y a des pressions pour augmenter les salaires et les prix, ce qui entraîne des cycles d’inflation axés sur les coûts.
Une simple comparaison des données disponibles révèle une corrélation positive entre la croissance de la production et la croissance des postes vacants dans les principaux secteurs de l’économie canadienne (voir la diapositive de mon exposé de l’ACÉ ici). C’est logique : les industries en croissance ont besoin de plus de mains-d’œuvre, alors les postes vacants augmentent.
À l’inverse, les données pour les trois derniers trimestres disponibles (de T2 à T4 2021), lorsque les pénuries de main-d’œuvre ont pris de l’importance dans les médias, montrent une corrélation négative entre la croissance de la production sur deux ans et les postes vacants. Pourtant, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un manque d’offre de main-d’œuvre entrave la croissance. Cela pourrait tout simplement signifier que les secteurs les plus durement touchés, en contact avec la clientèle, essaient maintenant d’accélérer leurs opérations plus rapidement que les marchés du travail ne peuvent s’adapter.
Le resserrement du marché du travail présente également des avantages, notamment :
- Une augmentation de la productivité à long terme à mesure que les entreprises innovent avec des processus plus efficaces et (dans certains cas) une automatisation accrue afin d’éviter les coûts croissants associés au recrutement continu.
- Des périodes de chômage plus courtes, en particulier pour les personnes travaillant dans des secteurs moins stables et généralement moins rémunérateurs.
- Une réduction de l’inégalité des revenus (en fonction de la répartition du resserrement). Dans l’ensemble du Canada, la demande pour les professions exigeant un faible niveau de scolarité (p. ex., études secondaires ou moins) est le segment qui connaît la croissance la plus rapide des postes vacants et qui a connu la croissance la plus rapide des salaires offerts.
Quelles sont les perspectives d’avenir?
Bien qu’une partie du resserrement du marché du travail reflète la reprise rapide après la COVID-19, une grande partie est attribuable à des tendances structurelles à long terme. Il s’agit notamment du ralentissement de la croissance démographique et du vieillissement de la population active. Il est difficile de distinguer les facteurs à court terme et à long terme des pénuries.
En effet, les perspectives macroéconomiques sont très incertaines à court terme. Certains secteurs sont en pleine effervescence, comme les services professionnels et la construction. D’autres poursuivent leur reprise après la COVID-19.
Nous ne savons pas encore quels seront les effets à long terme ou transitoires de la pandémie. Par exemple, les gens recommenceront-ils à manger au restaurant et à voyager à l’étranger aussi souvent qu’avant ?
Tony Bonen
Les banques centrales du monde entier se sont engagées à refréner la demande globale. Si elles n’orchestrent pas un « atterrissage en douceur », les pertes d’emplois augmenteront et les préoccupations au sujet des « pénuries » seront à nouveau mises en veilleuse.
À long terme, le vieillissement de la population, la demande croissante en matière de technologies et de services aux entreprises, ainsi que la volonté renouvelée d’atteindre le niveau « zéro » feront augmenter la demande de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs. L’ère de l’offre abondante de main-d’œuvre est révolue. Mettre davantage l’accent sur les politiques de rétention du personnel et les systèmes de formation continue s’avérera plus fructueux que de tirer la sonnette d’alarme sur les pénuries.
Article également disponible en anglais.
Lire plus d’informations sur les travaux de l’OCDE sur les marchés locaux du travail.
Tony Bonen provides the overall strategic leadership and management of LMIC. He brings expertise in managing research and providing policy guidance on a range of economic issues. In this role, he collaborates with colleagues across government, academia and the private sector to deliver high quality labour market information.
Prior to joining LMIC, he led the development and integration of housing price and macroeconomic stress test models for the Canada Mortgage and Housing Corporation. Other areas of research expertise include: climate change economics, analysis of the US pension and retirement system, and economic policy and geopolitical analysis affecting member countries of the NATO Parliamentary Assembly.
Tony holds a PhD in Economics from the New School for Social Research, a Masters in International Political Economy from the Brussels School of International Studies, and a Bachelor’s in Economics and Political Science from Carleton University.
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