Le ZAN pour mettre l’étalement en panne : comment atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette d’ici 2050 ? 

Au cours des cinq dernières années, les constructions humaines ont absorbé une superficie équivalente à celle de la Suisse.  Si cela permet bien sûr de créer de nouveaux logements, des emplois, des écoles et des hôpitaux, cela a un coût énorme pour la nature et notre avenir. Alors que de nombreux pays s’engagent à respecter un objectif de zéro artificialisation nette (« ZAN ») d’ici 2050, comment y parvenir ?  

Idéalement pas d’étalement 

Tout d’abord, rappelons les bases. L’artificialisation des sols est la transformation de zones naturelles en surfaces artificielles. D’un point de vue environnemental, ses conséquences peuvent être désastreuses : réduction de la capacité d’absorption de CO2, perte de biodiversité, augmentation des risques d’inondation et élévation des températures en milieu urbain. On estime que le monde a perdu entre 4 et 20 000 milliards de dollars par an en services écosystémiques entre les années 1997 et 2011 en raison de la modification de la couverture terrestre. L’étalement peut également accroître notre dépendance à l’égard de la voiture individuelle et réduire notre qualité de vie, en limitant l’accès aux espaces naturels pour les activités de plein air et en vidant nos centres-villes et centres-bourgs historiques à mesure que les logements et les services se déplacent vers la périphérie.   

Sauver les sols français 

En réponse à ces préoccupations, l’Union européenne a fixé l’objectif de zéro artificialisation nette d’ici 2050. Bien que cet objectif ne soit pas contraignant pour l’instant, la France est allée jusqu’à inscrire dans la loi cet engagement, avec pour objectif initial de réduire de moitié le taux actuel d’artificialisation d’ici 2031.  

Pendant des siècles, la vie en France – même dans les plus petits villages – s’est articulée autour de centres denses dotés de tous les équipements et services nécessaires à la vie quotidienne. Pourtant, au cours des dernières décennies, pour ceux qui en avaient les moyens, le « rêve français » a de plus en plus ressemblé à la banlieue pavillonnaire à l’américaine : une maison individuelle et une voiture (ou deux) pour se rendre au travail, au cinéma ou dans un centre commercial.  

En 2020, la France disposait d’une surface bâtie par habitant (151,7 m2 par habitant) supérieure à celle de tous les autres pays de l’UE-27, à l’exception de la Lituanie, soit environ un quart de plus que la moyenne de l’UE. En effet, depuis 1975, la surface bâtie a augmenté plus rapidement en France qu’aux États-Unis.  

Source : Calculs de l’OCDE ; la surface bâtie par habitant est basée sur les données du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne.

Selon de nouvelles données satellitaires, au cours des deux dernières décennies, l’étalement en France a été plus rapide dans les petites villes et les zones semi-denses que dans les villes de taille plus importante. De ce fait, de nombreux centres-bourgs historiques sont en grande difficulté. Aujourd’hui, dans les milieux universitaires et politiques français, on reconnaît de plus en plus la nécessité de revenir à l’ancien mode de vie – et à l’ancien art de vivre associé à une planification urbaine et rurale plus dense.  

Prendre et rendre la terre 

Toutefois, les ambitions de la France en la matière ont suscité des débats particulièrement vifs sur l’avenir du développement territorial. Certains craignent que la mesure n’entrave la croissance, en particulier dans les zones rurales où les élus locaux comptent sur les terres abondantes et bon marché pour attirer des investissements, apportant à leur tour un coup de pouce vital aux finances publiques locales. En outre, le succès de plusieurs priorités nationales (notamment le développement des énergies renouvelables et la réindustrialisation) est au moins en partie lié à l’accès à la terre dans certains territoires ruraux.    

Outre par exemple les mesures fiscales prises de longue date pour soutenir des zones rurales en déclin, la France a lancé deux programmes visant à revitaliser les centres-villes historiques, dans les villes petites et moyennes. Bien que ces initiatives soient conçues pour combiner la densification de l’habitat et la revitalisation économique, de nombreux habitants de ces territoires craignent qu’elles ne s’avèrent insuffisantes.  

En réponse, le gouvernement français a récemment adopté une nouvelle loi accordant une plus grande flexibilité dans la mise en œuvre de l’objectif ZAN, notamment en garantissant à toutes les communes le droit de construire sur au moins un hectare de terrain d’ici à 2031. En outre, la nouvelle loi vise à faciliter la mise en œuvre de l’objectif en créant des « conférences régionales de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols » réunissant, au sein de chaque région française, des représentants des différentes strates de collectivités pour partager les bonnes pratiques et améliorer la coordination. 

Trouver la zone d’atterrissage  

L’expérience française souligne l’importance de mettre en œuvre des politiques publiques plus globales pour atteindre l’objectif. Si la limitation de l’artificialisation est judicieuse au niveau national, elle ne l’est pas forcément dans l’immédiat pour chaque territoire. Une intermédiation efficace de la part de l’État (et/ou de la collectivité régionale) est nécessaire pour s’assurer que les endroits ayant un potentiel de développement disposent au moins d’une certaine marge de manœuvre pour s’étendre, tandis que d’autres endroits (ceux qui ont atteint le « pic d’urbanisation » ou qui sont en déclin démographique) rendent des terres à la nature ou optent pour des formes de développement plus denses, créant aussi de la place pour des investissements stratégiques dans les énergies renouvelables et les transports en commun.   

Ces mesures doivent être soutenues par des incitations pour les collectivités territoriales et les promoteurs afin de contribuer à la densification du logement et de l’activité économique (par exemple, en réhabilitant des bâtiments anciens ou des friches industrielles) et transformer les infrastructures « grises » en espaces verts (par exemple, en renaturant d’anciennes zones industrielles). Ces initiatives peuvent être coûteuses, et les collectivités sont souvent incapables d’en supporter seules les coûts. Au Royaume-Uni, le Brownfield Land Release Fund (BLRF), une initiative interministérielle menée en partenariat avec la Local Government Association (l’association britannique des collectivités locales), accorde des subventions en capital pour aider les autorités locales dans leurs efforts de revitalisation, par exemple en faisant un meilleur usage des parkings abandonnés ou en transformant les bâtiments vacants du centre-ville en logements de haute qualité.  

En bref, un large éventail de mesures est nécessaire pour assurer la réussite de l’objectif zéro artificialisation nette. Alors que d’autres pays de l’OCDE pourraient suivre les traces de la France, des leçons doivent être tirées – et partagées – si nous voulons nous assurer que, d’ici 2050, le ZAN mette l’étalement en panne.  


Cet article est aussi disponible en Anglais.

Counsellor at OECD Centre for Entrepreneurship, SMEs, Regions and Cities | + posts

Atte Oksanen is a Counsellor in the Regional Development and Multi-level Governance Division of the OECD Centre for Entrepreneurship, SMEs, Regions and Cities. He has worked in several subnational government networks, as well as for the French Junior Minister in charge of local governments (2016 – 2017). He has also worked as an advisor in the French National Assembly, providing policy advice and analysis on topics relating to environmental policy and regional development.